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L’État tacle les chasseurs et leur gestion des sangliers

Deux ans après avoir été soumis à la consultation du public, le décret « portant diverses dispositions pour la maîtrise des populations de grand gibier » est enfin entré en vigueur le 20 octobre 2022.  

Ce texte, motivé par l’accroissement exponentiel des dégâts imputés aux sangliers, avait surtout fait polémique à l’époque en ce qu’il prévoyait d’avancer l’ouverture de la chasse de cette espèce au 1er juin ! L’ASPAS et d’autres avaient alerté sur ce nouveau cadeau fait aux chasseurs pompiers-pyromanes qui, loin de réguler les populations de sangliers comme ils le prétendent, ne font qu’entretenir leurs cheptels d’une année à l’autre à coups de seaux de maïs et de tirs sélectifs épargnant les femelles reproductrices (lire à ce propos le dossier du chercheur Pierre Jouventin dans Goupil  n°149)… 

Cette disposition était d’autant plus choquante que le monde cynégétique venait juste d’obtenir (par un autre décret) un mois de rab pour chasser « la bête noire », avec une fin de saison de chasse repoussée au 31 mars   

Rétropédalage donc, sur ce point, et entrée en vigueur de quelques mesurettes intéressantes qui pointent implicitement du doigt la gestion calamiteuse des populations de sangliers par les chasseurs, à savoir : les tirs sélectifs, les lâchers et le nourrissage… bref, les trois ingrédients principaux de la pseudo-régulation ! 

Prenons les un par un.     

Interdiction des tirs sélectifs   

Il est désormais interdit de fixer dans le schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) des consignes de tirs sélectifs qui remettraient en cause le fameux « équilibre agro-sylvo-cynégétique ». Si l’État a jugé utile de l’écrire noir sur blanc, c’est que ces tirs visant à épargner les femelles reproductrices sont une pratique courante, même si les fédérations de chasse se gardent bien de le dire publiquement !   

En novembre 2020, l’ASPAS avait révélé des pièces à conviction à ce sujet dans le département du Doubs, où la FDC mettait en garde ses adhérents avec ces mots : « Si vous tirez trop de reproducteurs, les populations de sangliers seront trop faibles pour assurer un renouvellement correct et durable… Vous en serez alors les premières victimes ! »  

Interdiction de lâcher des sangliers dans la nature  

Le lâcher de sangliers (ou des fameux cochongliers – animaux hybrides nés du croisement de sangliers avec des cochons domestiques…) était il y a quelques décennies une pratique tout à fait légale et courante en France. Mais face à l’explosion démographique de l’espèce ces dernières années, l’État est intervenu pour y mettre fin… ou presque. En effet, avant le présent décret qui restreint désormais cette pratique aux seuls enclos de chasse à caractère commercial, le lâcher de sangliers était toujours théoriquement possible sur autorisation individuelle auprès des préfectures, même si les préfets avaient pour consigne (Circulaire du 31 juillet 2009) de ne les autoriser que « très exceptionnellement ».   

Il a pu aussi y avoir des cas de « reprise » : en 2007 dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, 88 sangliers ont été capturés en Camargue pour être relâchés par les chasseurs sur d’autres secteurs du département…  

Sur les lâchers le nouveau décret siffle donc la fin de la récré, du moins dans la nature libre et sauvage : « le lâcher de sangliers est interdit, que l’espèce soit classée ESOD ou pas, sauf au sein des enclos de chasse à caractère commercial ».   

Interdiction de nourrir les sangliers  

Le nourrissage des sangliers en vue de les concentrer sur un territoire constitue désormais une contravention punissable d’une amende de 4e classe (750 euros max). Si vous continuez de voir des tas de patates, de betteraves ou de baguettes de pain dur lors de vos balades en forêt, prévenez donc les autorités ! (et envoyez vos photos à temoignage@aspas-nature.org).   

En revanche, l’agrainage à poste fixe et l’agrainage linéaire (ces tas ou trainées de maïs que l’on voit parfois le long des chemins, dispersés entre les glands et les faines tombés des arbres pour soi-disant éloigner les animaux des cultures agricoles…) restent autorisés, et c’est là toute l’hypocrisie de l’affaire : donner de la nourriture aux animaux, de quelque façon que ce soit, influe forcément sur le cycle de reproduction de l’espèce et perturbe l’équilibre naturel du milieu dans lequel ils évoluent !   

Au final, ce décret apporte quelques avancées législatives bienvenues, mais rien de très révolutionnaire : tant que la gestion de la faune sauvage restera entre les mains d’un million de porteurs de fusils qui se sont auto-proclamés « premiers écologistes de France », les animaux (et les non-chasseurs…) en pâtiront ! 

> Pour consulter le nouveau décret, c’est ici

Photo d’en-tête : © F. Cahez